Au TCE le Faust numéro 2 de Benjamin Bernheim (Berlioz)

“La damnation de Faust” de Berlioz et une prise de rôle pour Benjamin Bernheim, évidemment copieusement applaudi. Mais il y a une mise en scène et c’est là que le bât blesse. A se demander si cette oeuvre que Berlioz n’a jamais voulu considérer comme un opéra doit être montée… comme un opéra.


Un gentil couple: Marguerite (Victoria Karkacheva) et Faust (Benjamin Bernheim) © Vincent Pontet



Je n’ai assisté qu’à la deuxième de cette “Damnation de Faust” Mes confrères, présents à la première, ont été la plupart du temps assassins. Pour la mise en scène, pour l’orchestre, pour les choeurs. Je ne serai pas si sévère pour la partie musicale. Et (un peu) plus indulgent pour le travail de Silvia Costa qui, par l’interview reproduite dans le programme, exprime avec lucidité les pièges posés par cette oeuvre hybride, série de scènes un peu décousues- mais qui, finalement, et c’est son paradoxe, retrace assez bien le mythe de Faust, son histoire, qui, oublions Goethe, se résume la plupart du temps (en musique) à une partie de billard à trois bandes, Faust, Méphisto, Marguerite…

A se demander quand même si une mise en scène autour d’une telle oeuvre est vraiment utile. En fait, oui, sans doute. Mais l’erreur de Silvia Costa -comme celle, bien pire, d’Alvis Hermanis, le Letton qui avait été copieusement hué à l’Opéra-Bastille en 2015 (c’était tout de même Jonas Kaufmann qui chantait Faust)- est sans doute, au lieu d’essayer de rendre une cohérence à une histoire pleine de trous où, Costa le constate elle-même, Faust est le plus souvent un témoin, en retrait du monde, de vouloir y mettre du sens, une sorte de psychanalyse un peu confuse, des idées peut-être intéressantes sur le papier (ah! cette propension des metteurs en scène à ne pas faire confiance tout simplement à la musique) mais qui ne fonctionnent pas vraiment ou encombrent l’espace sans faire avancer le schmilblick.

Une chambre en désordre: Faust (Benjamin Bernheim) © Vincent Pontet

Car évidemment cette Damnation de Faust, de la maturité berliozienne (1846, le compositeur a 43 ans et encore 23 à vivre), est, du point de vue musical et malgré sa construction bizarre, un chef-d’oeuvre, et orchestral (évidemment) et aussi dans son écriture vocale même si les tessitures, chez Berlioz, sont toujours difficiles car souvent imprécises (voir l’air du Roi de Thulé chanté par Marguerite qui fait penser par son incertitude tonale à la “Villanelle” des Nuits d’été) On ne compte d’ailleurs pas les nombreux morceaux de pur orchestre (même si accompagnés de voix, c’est d’abord l’admirable transparence mélodique de ce génie de l’orchestration que l’on entend), Marche hongroise, Ballet des Sylphes, Tambours et Trompettes, Danse des feux follets, sans parler de l’Orgie infernale où Berlioz s’amuse à aller plus loin que le “Songe d’une nuit de Sabbat” de la Symphonie fantastique. Et d’ailleurs, même si Berlioz s’est toujours rêvé en auteur d’opéras (maudit) on doit constater qu’il n’est jamais aussi admirable que quand il écrit pour l’orchestre - voir l’autre air sublime de Marguerite, D’amour l’ardente flamme, où l’on a l’impression que c’est la voix qui accompagne l’élégie du cor anglais!

Faust rêve, depuis sa chambre. Evidemment il va rêver à l’amour, à Marguerite, et ce sera sa perte. Mais avant cela, solitaire mais à l’écoute du monde, il rêve à ce qui lui parvient du dehors, au printemps qui revient, à la joie des paysans qui passent, qui dansent, et aux robes envolées des paysannes; puis aux cloches de Pâques, aux rumeurs de la ville, des villes. Au plaisir des cabarets, des chansons à boire (si allemandes) Et bientôt (au bord de l’Elbe, écrit Berlioz) il y a les prairies, mais c’est Méphisto qui les peuple. Et puis les soldats reviennent de guerre, heureux. Et puis (Merci, doux crépuscule), voici Marguerite, sa chambre: “Que j’aime ce silence et comme je respire / un air pur” Etrange Faust! C’est d’abord cela qui le séduit dans cet espace où, en un second temps seulement, naît la silhouette de la jeune fille aimée.

Faust (Benjamin Bernheim) se cache sous le lit de Marguerite (Victoria Karkacheva) © Vincent Pontet

Faust rêve. Mais avant de sortir pour se confronter au monde ce sont des rêves sombres, une impossibilité à vivre, qui le hantent: “Ô terre! Pour moi seul tu n’as donc pas de fleurs! Par le monde, où trouver ce qui manque à ma vie… Allons, il faut finir!” Certains ont reproché à Bernheim de rapprocher ce Faust du Werther qu’il avait chanté dans ce même théâtre la saison dernière. Mais Faust, c’est exactement cela: la même tentation du suicide -et il faudrait d’ailleurs interroger qu’ils soient deux personnages de Goethe, Werther n’ayant pas un Méphisto pour l’entraîner mais a-t-il connu un sort plus enviable? Ainsi Benjamin Bernheim, de cette voix où la plus intense mélancolie se pare de lueurs argentées (et, dans certains airs l’on se demande jusqu’où il pourra monter, et il y monte, avec une facilité qui laisse pantois), construit doucement un personnage qui, peu à peu, en arrive au bonheur amoureux, trop vite éteint par le drame qui fait de Marguerite une meurtrière, non pas de son enfant comme chez Gounod, mais de sa vieille mère. Ellipse berliozienne, Faust acceptant avec colère de s’en remettre aux enfers et à Méphisto, choeur des démons dans un sabir comparable à celui du Grand Mammamouchi de Molière; et Marguerite, âme naïve, monte au ciel, selon la tradition chrétienne ou… goethéenne.

Méphisto (Christian Van Horn) et ses démons © Vincent Pontet

Il n’est pas indifférent que l’oeuvre de Berlioz, qui fut un terrible échec à Paris, ruinant le compositeur, eût été l’année suivante un succès en Allemagne, où Goethe, évidemment, était un mythe. Il est intéressant aussi de noter que le Faust de Gounod, postérieure de seulement 13 ans, sera d’un style musical très différent et surtout d’une inspiration religieuse tout autre. Chez Gounod Méphisto s’oppose vraiment à Dieu et Marguerite, plus que Faust, est un enjeu, une proie. Chez Berlioz le crime de Marguerite est à peine évoqué, sa rédemption est presque accessoire (elle compose une fin belle et morale pour le public de l’époque) car ce qui compte, c’est bien, comme l’assène le titre, la damnation de Faust. Qui livre son âme au diable comme, je l’ai dit, on se suicide.

Avec tout cela, que fait Silvia Costa? Pas grand-chose. Le début, la chambre de Faust, en pans coupés, dans des lumières qui rappellent celles des petits maîtres romantiques -des éclats de soleil au milieu des ombres-, est assez beau. Mais déjà pourquoi ces peluches? Pourquoi ces réactions d’enfant qui gribouille, qui jette, qui regarde des diapos -moches, surexposées, les diapos? Les buveurs-démons de Méphisto sont aussi des enfants -Costa pense-t-elle provoquer ainsi le bourgeois? Il y a une vraie souris qui passe et Marguerite époussette, enfile un tablier, petite femme d’intérieur. A la fin d’autres enfants tous vêtus de blanc viendront la rejoindre. Marguerite en “petite mère”… Ah! si, une longue demi-heure d’entracte (alors que l’oeuvre eût pu être jouée d’un seul tenant) pour permettre à tous les musiciens de l’orchestre de revêtir des robes de juge ou d’avocat et de s’installer en fond de scène, comme pour faire le procès de Marguerite, qui a à peine lieu dans l’oeuvre. Du coup avant-scène nue où Bernheim s’agite au milieu de pauvres fumées vertes et rouges (si les enfers ont un si petit budget on doit vraiment s’y ennuyer ferme!) avant de rejoindre une trappe. Fin de l’aventure.

Les juges (l’orchestre) autour de Marguerite (Victoria Karkacheva) © Vincent Pontet

La vraie découverte est la mezzo russe Victoria Karkacheva, prononciation à peu près honnête, timbre aux belles résonances et une juste émotion dans la difficile Chanson de Thulé, sans parler de ce D’amour, l’ardente flamme d’un sentiment très touchant. Déception en revanche pour le Méphisto de Christian Van Horn: le tandem Bernheim-Van Horn avait très réussi il y a quelques années le tandem Faust-Méphisto de Gounod (à l’Opéra de Paris) Ici, Van Horn est en retrait, pas très concerné, même ses graves sont un peu légers, alors qu’il pouvait jouer à loisir sur le côté “sale gosse” de ce personnage diabolique à la tête d’une valetaille démoniaque. Van Horn rêve peut-être désormais au paradis… qui n’est encore dans les tuyaux d’aucun créateur d’opéra.

Les confrères qui ont assisté à la première n’ont pas dit grand bien du chef Jakob Lehmann à la tête de l’orchestre Les siècles (dont s’est retiré François-Xavier Roth, on sait pourquoi): il semblerait que les musiciens aient trop souvent été “couverts” par les chanteurs. Ce fut plutôt l’inverse à la deuxième comme si, piqués au vif, chef et musiciens avaient voulu montrer (enfin)… qu’ils savaient jouer avec poésie, avec vigueur, en une élégance soliste aussi chez un Berlioz qui adore cela ( j’ai parlé du cor anglais mais les flûtes, les trompettes, les pizzicati des violons…), bref, rendre l’hommage qu’il mérite à l’orchestrateur. Quant au choeur de Radio-France, certes il ne caractérise guère (et la mise en scène ne l’y aide pas) mais ses interventions sont nombreuses, les parties sont redoutables et l’on a la cohérence à défaut des nuances qui, d’ailleurs, ne sont pas toujours nécessaires (on ne demande pas aux soldats de chanter comme des archanges)

Peut-être, donc, la troisième fois sera-t-elle la bonne… A l’Opéra-Comique?






“La damnation de Faust” d’Hector Berlioz, mise en scène de Silvia Costa, direvction musicale de Jakob Lehmann. Théâtre des Champs-Elysées, Paris. Prochaines représentations le 12 novembre à 19 heures 30 et le 15 novembre à 18 heures.

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