Portrait de Wolfgang et Leopold en joueurs

Papa et Fiston: Wolfgang Amadeus et Leopold Mozart réunis sous la même baguette de Florent Albrecht, à la salle Gaveau et en Cd: la bonne idée. Sans qu’il y ait forcément collusion entre eux, sans s’être donné le mot. C’est l’art du divertissement qui, en ce temps-là, les inspire. Et à ce jeu, le plus joueur, pourtant réputé le plus sévère, est le papa!

L’Encyclopédie à Gaveau, Floent Albrecht de dos © Marielle Aubé



Concert et Cd: il y avait foule l’autre jour à la salle Gaveau où beaucoup de jeunes têtes vivaient avec enthousiasme leur premier concert classique. Et cela ravivait chez moi (chez bien d’autres?) le souvenir de ma première oeuvre… classique (qui était un microsillon: jeunes filles et jeunes gens, faut-il vous expliquer ce mot, aussi vieux pour vous que “clystère” ou"palefroi”?): cette “Symphonie des jouets” de papa Mozart.

A l’époque, d’ailleurs (il y a plus d’un demi-siècle) il y avait doute sur l’auteur de cette symphonie ludique: Haydn? Leopold Mozart? Un autre de leurs contemporains de l’école de Mannheim, Cannabich ou Stamitz? Il semble désormais que c’est bien le sérieux Leopold qui se soit prêté à ce jeu, sans parler de la Promenade en traîneau qui lui fait un beau complément. Oh! n’allez pas chercher non plus la richesse mélodique ou harmonique du fils. Mais à qui sera le moins sérieux l’avantage est bien du côté du paternel.

Il est vrai que la Serenata notturna n’a pas l’ambition d’être hilarante. Quant à la Plaisanterie musicale de Wolfgang Amadeus, composé peu après la mort de son père, elle l’est d’abord et avant tout pour les musiciens eux-mêmes (et un peu moins pour les jeunes ou moins jeunes oreilles): certes il ne faut guère être mélomane pour se rendre compte que les cors jouent faux, que les violons aussi parfois, que la richesse de l’écriture de Mozart a été jeté aux orties, délibérément, comme si, un soir de beuverie, talonné par un Méphisto déguisé en Faust, le garçon de déjà 31 ans écrivait n’importe quoi, des tonalités absurdes, des mélodies qui cafouillent, un passage atonal que ne renierait pas Schönberg mais Mozart quand même!… Sans compter les cors qui doivent avoir du poisson gluant dans leur pavillon… A cette aune-là c’est une vraie Plaisanterie musicale, dont on ignore pourquoi Mozart l’a composée -je ne suis pas absolument convaincu par les arguments de Florent Albrecht, qui tente ceci: un hommage de Wolfgang à son père pour lui dire post mortem: voilà comment j’aurais écrit si je n’avais pas bénéficié de tes conseils. A ceci près que Mozart, même sans son père, était Mozart; et ses quatre concertos pour cor auraient sonné juste.

Les mêmes. Florent Albrecht de face © Marielle Aubé

Ne boudons pas notre plaisir en tout cas. Même si c’était encore plus drôle à voir qu’à écouter au disque. Car il y avait ces musiciens qui faisaient les oiseaux, qui sortaient des chevaux de bois de leurs poches, qui jodlaient, qui faisaient sonner des grelots, qui tiraient de leurs habits des trompettes d’enfant. La Symphonie des jouets est davantage une symphonie de chants d’oiseaux divers que je me garderai bien d’identifier -tourterelles, moineaux, rossignols, coucous? A Vienne, en tout cas, pas de mouettes.

La Promenade en traîneau, elle, bénéficie d’un programme: après le bal une comtesse rentre dans son beau château, en traîneau, sous les étoiles qui scintillent au-dessus de la neige épaisse. Elle rêve au champagne qu’elle a bu, au feu d’artifice qui éclairait les toits baroques. On entend les grelots; mais le cocher a trop bu (de piquette), il va de plus en plus vite, la comtesse pousse des cris. Les voilà qui versent. Heureusement on viendra à leur secours, mais la comtesse aura pris froid. Renverra-t-elle le cocher? Mais peut-être est-il son amant? (C’est moi qui extrapole…)

Il y a donc (encore) des grelots, des sabots, des étoiles de neige, le crissement du sol glacé. C’est presque plus réussi que la Symphonie des Jouets, cette Promenade en traîneau qui fleure l’atmosphère joyeuse (à la Marie-Antoinette) de l’aristocratie viennoise. La Serenata notturna, oeuvre ramassée, d’environ 13 minutes et d’un Mozart de 20 ans, est finalement la seule des quatre à n’être que ludique, sans la farce, sinon qu’il y a quelque esprit libre à aller donner la sérénade plus tard encore puisque, si elle est notturna, c’est que le soir a disparu pour laisser place à la nuit.

Sauf qu’à la fin Mozart s’amuse à flanquer des coups de timbales et de tambours à réveiller toute la ville de Vienne. Sa contribution au tapage nocturne!

© Marielle Aubé

On touche cependant aux limites de cet ensemble L’Encyclopédie que dirige avec entrain (mais parfois sans assez de nuances) Florent Albrecht. Créé par celui-ci, L’Encyclopédie est un de ces nombreux ensembles baroques qui fleurissent désormais. Il montre de la cohérence, de l’amusement, un plaisir collectif mais si la partie des vents et des percussions est sans reproche, je trouve le pupitre des violons un peu pauvre de son, pas toujours accordé, à telle enseigne que parfois, dans la Plaisanterie musicale, on ne sait si c’est fait exprès ou non…

Le Cd aurait pu être plus long. Il est au moins logique, Une plaisanterie musicale remplaçant avantageusement la 4e oeuvre du programme de Gaveau. Grosse déception avec ce Concerto pour pianoforte n° 13 que jouait Albrecht lui-même. J’avais plutôt bien aimé le Cd de “Fantaisies” de Mozart qu’il avait publié l’an dernier. Pour ce concerto qui est dans la ligne des chefs-d’oeuvre pour l’instrument (avant la série, à partir du numéro 19, des super-chefs-d’oeuvre), Albrecht a choisi un instrument qu’on entend à peine et le contraste dynamique entre l’orchestre qui jouait sa partie et un soliste qui ne dépassait pas le cinquième rang et qui était sec de toucher a été fort gênant. Je n’avais pas eu du tout ce sentiment-là avec les oeuvres solo et comme il semble qu’Albrecht ait l’intention de sortir des Cd de concertos j’espère qu’il changera d’instrument -étant entendu, je l’ai répété plusieurs fois, que rien ne vaut, même (ou surtout) dans Mozart, un beau piano qui sonne franc et net.




Léopold Mozart: Symphonie des Jouets. La promenade en traîneau. Wolfgang Amadeus Mozart: Sérénade n° 6 “Notturna” . Concerto pour pianoforte n° 13. Ensemble “L’Encyclopédie” , Florent Albrecht, pianoforte et direction. Salle Gaveau, Paris, le 20 octobre.

Un Cd, “Kindermusik”, par les mêmes interprêtes réunit les trois premières oeuvres et “Une plaisanterie musicale” de Wolfgang Amadeus à la place du concerto (Harmonia Mundi)

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