“A l’Opéra-Comique” un “Faust”-retour aux sources (infernales)

Très riche et très passionnante soirée. On était un peu hésitant en allant écouter cet opéra mythique de l’époque de nos grands-parents. D’autant qu’il faisait chaud et que c’était la fête de la Musique. Vous me direz que la fête de la Musique n’est pas toujours très excitante non plus. On était encore plus inquiet en constatant que la soirée de ce Faust-là durait quatre heures. Eh! bien on ne s’est pas ennuyé un seul instant, au point d’en avoir même peur que Marguerite ne soit pas sauvée à la fin.

Le retour des soldats autour de Valentin ((Lionel Lhote) © Stefan Brion


Si, si, elle l’est. Ce n’est ni le genre de Louis Langrée (le chef) ni celui de Denis Podalydès (à la mise en scène) de tout changer pour faire moderne.

En même temps (me disais-je en écrivant le paragraphe précédent) renvoyer le “Faust” (de Gounod, je ne l’ai pas dit, pour celui qui ne le saurait pas encore) à nos grands-parents est un peu réducteur. On a eu même un “Faust” à l’Opéra de Paris il n’y a pas si longtemps (en 2021) qui, habilement, revisitait l’oeuvre sans la trahir, avec un Benjamin Bernheim propulsé au rang de star et qui a heureusement été repris (Faust, pas Bernheim) car il arrivait alors en pleine époque de Covid. Pour ceux qui l’auraient vu, Podalydès et Langrée proposent, du couple “infernal” une vision complètement différente et tout aussi justifiée, preuve de la force de l’oeuvre, qui vient tout de même de Goethe et de Marlowe, nom d’une pipe!

Mais il est vrai aussi (parlons de moi!) que je sortais de la lecture d’une oeuvre mythique, le fameux “Fantôme de l’Opéra” de Gaston Leroux, dont l’écriture sent tout de même son époque et qui tourne, musicalement s’entend, quasiment autour de ce “Faust” de Gounod, à qui, de plus, Hergé, avec la Castafiore et l’ “Air des Bijoux”, n’a pas forcément rendu service.

La rencontre de Faust (Julien Dran) et Marguerite (Vannina Santoni) © Stefan Brion

Or, et c’est ce qu’il y a de remarquable dans la soirée, mais pas que, Langrée, Podalydès et les autres reviennent aux sources, c’est-à-dire à la version originelle de l’oeuvre, celle de 1859, qu’en fait on ne joue jamais au profit de celle qui entra au répertoire de l’Opéra de Paris au moins dix ans plus tard, donc sans les dialogues parlés. Et sans aussi certains airs étranges (Langrée, dans le programme, parle “d’énigme”), celui de Méphisto, inédit: “La chanson du nombre 13” En revanche, on le signale aux Faustolâtres indécrottables, disparaissent l’air de Valentin, “Avant de quitter ces lieux” (on l’apprend, il ne fut écrit que pour la reprise de l’oeuvre à Londres), le fameux choeur des soldats “Gloire immortelle de nos aïeux”, “écrit aussi plus tard, comme l’air du Veau d’Or de Méphisto.

Le projet revient -rendons à Caroline ce qui ne revient pas à Denis- à la directrice de l’Opéra de Lille, où fut créé ce spectacle, Caroline Sonrier, qui quitte aussi ses fonctions après 22 ans de loyaux et remarquables services. Il n’a aucune intention de révolutionner quoi que ce soit mais de proposer (et j’aurais eu mauvaise grâce à titrer ainsi cette chronique) un “Faust pour les nuls” où l’on suit l’histoire, comprend les enjeux, où l’on se replonge aussi, de manière très subtile (mais c’est tout l’art qui n’a l’air de rien du trio Podalydès-Ruf (scénographie)-Lacroix (costumes) de nous y installer), dans l’atmosphère rêvée, un peu cauchemardesque, de ces gravures gothiques du XIXe siècle éclairées d’ombres sombres où s’agitent des personnages tout en noir dont on ne distingue pas le visage, masse grouillante dont on ne sait si ce sont des bourgeois qui fuient la nuit ou de malfaisant démons surgis du péché. Sur ce plateau tournant qui sera nu parfois (et qui permet aussi de doubler la vitesse de la fameuse valse, de dynamiser la scène des étudiants du début, d’entraîner les courtisanes et les sorcières de la nuit de Walpurgis) se répondent le désespoir du vieux Faust au début et la solitude de Marguerite et de son enfant que vient visiter Siebel, le seul personnage de compassion joliment incarné par Juliette Mey.

Siebel (Juliette Mey) © Stefan Brion

Mais la scène la plus terrible -et scénographiquement la plus belle- est celle de la mort de Valentin, le frère de Marguerite. Valentin, touché au coeur dans son duel avec Faust (un Faust aidé par Méphisto) et qui, debout, une lumière pâlissante et même spectrale éclairant sa silhouette pendant que derrière lui deux personnages ont ouvert le cercueil où il viendra se coucher à la fin de l’air, chante la terrible malédiction de sa soeur avec une violence dans les mots, un mépris dans l’attitude et dans les intonations (excellent Lionel Lhote) qui nous dit tant de choses de l’ignoble esprit de rejet qui entourait une malheureuse fille-mère (Marguerite, désespérée, n’a pas encore tué son enfant ce qui la conduira à la mort), en contradiction telle avec l’enseignement de Jésus face à Marie-Madeleine ou à la prostituée (“Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre”) que cela nous laisse aujourd’hui un peu stupéfait sur les conventions bourgeoises du temps -conventions, ne rêvons pas, qui sont prêtes à ressurgir avec la même violence et la même absence de scrupules si les circonstances les y aident.

La nuit de Walpurgis © Stefan Brion

Or c’est une scène capitale qui donne au “Faust” de Gounod toute sa force, Gounod et ses librettistes doublant l’histoire défendue par Goethe d’un homme qui veut reconquérir en se damnant l’éternelle jeunesse de celle d’une femme prise aux pièges des bonnes (et fausses) paroles d’un séducteur et qui, à la façon d’une Bovary et de tant d’autres de ce temps-là, nous rappelle Podalydès, se retrouve jetée ainsi hors de toute vie sociale. Mais le si religieux Gounod ne juge pas et la mise en scène non plus, nous laissant quand même atterrés (alors que, je l’avoue, dans d’autres mises en scène, ces paroles de Valentin ne m’avaient pas autant frappé), aussi parce que Podalydès, intelligemment, joue de cette terrible ambiguïté où c’est un mourant héros de la guerre qui quitte ce monde sur d’abominables paroles dirigées vers sa soeur étendue sur le sol, sans un geste pour la relever.

La direction de Langrée, à la tête de l’excellent orchestre de Lille, construit avec science une progression lugubre et de plus en plus frappante de l’orchestre, qui suit exactement l’écriture de Gounod, jusqu’à cette fin presque surréelle qu’il faut accepter aussi comme le signe d’une époque. C’est là clairement que Gounod nous dit: “Elle n’était pas coupable” Et le choix d’une Vannina Santoni, avec sa douceur, cette humilité jamais mièvre qui rapproche Marguerite, malgré les fautes qu’elle commet, de ces martyres chrétiennes acceptant leur destin pour se rapprocher de Dieu (dans certains accents vers la fin on retrouve l’esprit des “Dialogues des Carmélites”) se justifie pleinement.

Faust (Julien Dran) et Marguerite gagnée par la folie (Vannina Santoni) © Stefan Brion

A l’inverse, en revanche, de la version de l’Opéra de Paris, le couple Faust-Méphisto semble dirigé par Faust même si l’on sait qui tire les ficelles. Le Méphisto de Jérôme Boutillier (qui n’est pas une basse profonde comme un Christian Van Horn à l’Opéra) a l’apparence d’un homme en redingote qui se fond dans la foule, n’était ce regard dont la froideur n’échappe pas à Marguerite; il laisse l’espace au triomphant Julien Dran, Faust solaire, prêt à dévorer sa (nouvelle) vie malgré quelques instants où il prend conscience de l’abîme où il se dirige -et de ce point de vue la toute fin, centrée sur la rédemption de Marguerite, et c’est exactement ce qu’a écrit Gounod, ignore complètement le destin de Faust, comme s’il n’était pas nécessaire d’en parler. L’inverse de Benheim, toujours dans l’ombre du démon, et dont la lumière passait uniquement dans la voix, jamais dans les gestes ni dans une quelconque prise en main de son destin. De ce point de vue, là encore, le choix du Faust-jeune premier de Dran est fort juste, lui qui, désormais, aborde les plus grands rôles.

La mort de Valentin (Lionel Lhote) © Stefan Brion

On notera aussi (et l’on retrouve là le Podalydès comédien et directeur d’acteurs) qu’on a rarement entendu des chanteurs passer aussi naturellement (y compris à l’intérieur d’un air) du chant au dialogue parlé.

Et l’on a aimé ces ouvreurs (et ouvreuses) de l’Opéra-Comique nous accueillant avec des petites cornes de diablotins, ainsi que les flammes qui entouraient les pieds des statues du foyer.

(Fausses les flammes)



“Faust” de Charles Gounod, version originale de 1859, mise en scène de Denis Podalydès, direction musicale de Louis Langrée. Opéra-Comique, Paris, les 23, 25, 27 juin et 1er juillet à 20 heures, le 29 juin à 15 heures.

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