Les 25 ans de carrière de Philippe Jaroussky, le violoniste

Bon, vous avez bien lu. Un Philippe Jaroussky qui fêtait, comme Marie-Nicole Lemieux, ses 25 ans de carrière mais avec une soirée à lui consacrée, dans ce même Théâtre des Champs-Elysées où se trouvait la chanteuse quelques jours plus tôt. Jaroussky réunissant donc des amis, chantant, bien sûr, et s’amusant aussi à montrer qu’il a plusieurs cordes à son arc…

Philippe Jaroussky D.R.


(Il n’y a hélas pas eu de photos de la soirée. J’utilise donc des images prétextes du garçon et aussi du dernier concert, le 18 juin dernier, de la promotion Lily-et-Nadia Boulanger de l’Académie Jaroussky (chronique du 9 janvier)



La soirée était organisée en deux parties. Dans la première, place aux fondamentaux, airs baroques des grands musiciens de ce temps-là, Monteverdi (ça, c’est presque encore la Renaissance), Bach, Vivaldi, Haendel. La seconde partie, après un arrêt à la station Mozart, avec une série de “bonbons” où Jaroussky montrait l’écléctisme de ses goûts, bien au-delà des “classiques” attendus.

On regrettait cependant une absence de mise en scène de tout cela, les invités entrant à cour ou à jardin pour mieux ressortir, sans un mot, même de Jaroussky, étaient-ils des partenaires, des amis, leur présence tenait-elle à leur disponibilité parisienne ce jour-là? Jaroussky disait un mot parfois, plutôt sur lui-même et, comme il le soulignait, pour permettre des changements de micro, de configuration (la soirée était l’objet d’une captation audiovisuelle), techniciens s’affairant aussi vite que possible mais il fallait désinstaller l’ensemble “Arpeggiata” (celui de Christina Pluhar, la grande amie et complice du chanteur) pour installer l’ensemble “Artaserse” (celui-là que Jaroussky, aussi chef d’orchestre, dirige depuis quelque temps) Et inversement. A ce jeu les uns montraient leur chaleur, leur bonne humeur, naturelles, les autres plus timides (on dira cela) semblaient parfois être là parce qu’il y avait de la lumière. Fête donc, certes, mais qui aurait pu être bien plus brillante, nous entraîner beaucoup plus. On assistait en fait à un très beau concert avec plein d’invités mais sans l’étincelle qu’une Lemieux, en une minute à peine, avait réussi à allumer devant un public ravi qui ne s’y attendait pas.

Le même, en veste plus claire D.R.

Mais reprenons.

Deux Monteverdi, une chanson et un madrigal, “Si dolce è il tormento” et “Ohimè ch’io cado” (“Si doux est mon tourment” et “Hélas! je chute”), deux classiques jarousskiens distillés avec le timbre exquis, intact, du chanteur. Puis un duo du “Couronnement de Poppée (“Pur ti miro”) et la voix d’ange de Sandrine Piau. Mais pourquoi donc, dans cette conversation amoureuse, la malheureuse Piau cherche-t-elle en vain le regard de son partenaire qui la regarde à peine? Désir de Jaroussky de contrôler si tout va bien dans la salle? On note en tout cas le cornet de Doron Sherwin qu’on entendra aussi dans des musiques plus actuelles et qui obtient déjà un beau succès.

Haendel, changement d’orchestre. L’ouverture d’ “Agrippina”, vivement dirigée par Jaroussky chef d’orchestre et un air véhément, “Pensieri, voi mi tormentate” (“Pensées, vous me tourmentez”) chanté par une Karine Deshayes un peu tendue, parfois mal à l’aise dans la véhémence du sentiment et la précipitation du tempo. Elle disparait. Surgit Jean-Christophe Spinosi, heureux d’être là. Deux Vivaldi magnifiques, “Sovvente il sole” (“Souvent le soleil…) de l’ “Andromède libérée” où Spinosi et Jaroussky entament un superbe dialogue entre Persée, le héros, et le violon solo: vraie complicité des deux hommes avant que Spinosi ne (re)devienne chef d’orchestre pour “Orlando finto pazzo” (Roland feignant la folie) et l’air de castrat d’Argillano, “Se in ogni sguardo” (Si, dans chaque regard)

Chanteur… © François-Xavier Tual/ Académie Jaroussky

Arrive alors un autre heureux garçon, Nemanja Radulovic, le 1er mouvement du “1er concerto pour violon” de Bach. C’est très élégant, Radulovic s’appuie sur Artaserse et son premier violon Thibaut Noally, c’est presque le prélude à un des plus jolis moments de la soirée, où l’on découvre Jaroussky violoniste, car, nous apprend-il, il a fait quelques études de violon… Assez en tout cas pour être le numéro 4 du “Concerto pour 4 violons” de Vivaldi (Thibaut Noally, Spinosi, Radulovic) où, dans la reprise des thèmes en solo (chacun s’y colle à tour de rôle), malgré un trac probable devant le son ardent de ses camarades, il ne s’en tire pas si mal que ça, s’attirant au final les applaudissements et du public et de ses partenaires. Le violoniste Jaroussky est un peu plus qu’un débutant.

Petite déception juste avant, le sublime “Erbarme dich” de Bach, un des plus beaux morceaux de musique jamais écrits (“La passion selon St-Matthieu), pas tout à fait dans la voix de Jaroussky et dont il fait quelque chose de trop théâtral… alors que Radulovic qui l’accompagne met dans les volutes du violon un recueillement très beau qui sauve un peu le duo.

On finit la première partie avec Haendel, un trio d’ “Alcina”, le “Non è amor nè gelosia” (Piau, Deshayes, Jaroussky) où Deshayes n’est pas encore très en voix (un peu couverte par ses camarades) mais cette fois s’empare de la scène.

… et chanteuse © François-Xavier Tual/ Académie Jaroussky

Après l’entr’acte voici un pot-pourri mozartien. La “42e symphonie” d’un compositeur dont on pensait qu’il n’en avait composé que 41. Probablement un mouvement de jeunesse, et vite oublié. Puis le finale du “Concerto pour violon n° 5”, si gracieux. Mais gracieux au sens ancien, d’une ineffable grâce; gracieux comme seul Mozart savait l’être plus qu’aucun homme de son temps. Julien Chauvin, qui avait dirigé Rossini quelques jours plus tôt (voir ma chronique du 23 juin) tenait cette fois le violon, avec un peu de timidité, ne s’imposant vraiment que dans les dernières mesures: on regretta que Vivaldi n’ait pas écrit un “Concerto pour 5 violons”…

C’était au tour des “Noces de Figaro”: une Sandrine Piau chantant de façon exquise le “Deh vieni, non tardar” où Suzanne met son Figaro à l’épreuve de sa jalousie; puis le “Sull’aria” où Suzanne et la Comtesse si complices voyaient Piau et Deshayes l’être tout autant. Moment de bonheur.

Jaroussky extrayait alors de ses albums de mélodies françaises le “A Chloris” de Reynaldo Hahn, charmant dans sa désuétude. Puis la “Colombine” pas très connue de Brassens dont on regrettait de ne pas toujours comprendre les paroles. Jérôme Ducros, le fidèle accompagnateur, voyait alors Jaroussky s’asseoir à côte de lui pour “Le Jardin féérique” de “Ma mère l’Oye” de Ravel. Bon. Le Jaroussky pianiste était limité aux basses d’un 4 mains qui semblaient assez faciles. Pas comme la partie de Ducros, dont on regrettera (je l’ai souvent dit) qu’il ait mis au rebut une carrière de soliste dont ce Ravel nous donnait un si bel aperçu.

Itou © François-Xavier Tual/ Académie Jaroussky

Mais Ducros ayant fait ses trois petits tours, c’était au tour de Thibaut Garcia d’en faire autant. Le jeune guitariste brillait dans “La Catedral” du Paraguayen Agustin Barrios Mangoré, élégant et virtuose, avant d’être l’accompagnateur de la “Cancion de las simples cosas” (Chanson des choses simples) de la Mexicaine Chavela Vargas et de “Septembre” de la Seine-et-Marnaise Barbara

“L’Arpeggiata” et Cristina Pluhar revenaient pour conclure la soirée (où étaient-ils pendant tout ce temps? A dîner?), toujours accompagnateurs de Jaroussky pour “Los Pajaros perdidos” (Les oiseaux perdus) d’Astor Piazzolla -un tango!- et ce “Besame mucho” qui surprendra moins les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées que ceux d’Ambronay qui l’avaient entendu en prolongement d’un concert baroque. Et le cornettiste Doron Sherwin y faisait preuve d’une adaptabilité au répertoire, disons contemporain, transformant presque son vieil instrument en saxophone.

Tout le monde revenait, pour une “Girl from Ipanema” mené par un Jaroussky heureux. Le garçon pouvait l’être, chacun y mettait tout son coeur, même ceux qu’on n’entendait guère. C’était un hymne heureux au soleil et à l’amitié, dans une veine latino-américaine qui semble tenter de plus en plus le chanteur: simple divertissement ou nouveau tournant pour sa 26e année de carrière?


Vingt-cinq ans déjà!” : Philippe Jaroussky et ses amis (Sandrine Piau, Karine Deshayes, Jean-Christophe Spinosi, Nemanja Radulovic, Thibaut Noally, Julien Chauvin, Jéröme Ducros, Thibaut Garcia, Ensemble L’ Arpeggiata, direction Christina Pluhar, Ensemble Artaserse, direction (la plupart du temps) Philippe Jaroussky) Oeuvres de Monteverdi, Haendel, Bach, Vivaldi, Mozart, Hahn, Ravel, Barrios Mangoré, Vargas, Piazzolla, Velasquez, Jobim, Barbara, Brassens. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 23 juin.

Précision supplémentaire: le concert de rentrée de la nouvelle saison de l’Académie Jaroussky (“Promotion Franz Schubert”) aura lieu le vendredi 19 septembre à l’habituelle Seine musicale de Boulogne.





















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