Au TCE un “Pompeo Magno” de Cavalli cavalcadant

Après Ambronay le retour à Paris de Leonardo Garcia Alarcon, le flamboyant argentin avec quelques-uns de ses fidèles et d’autres, beaucoup d’autres, 13 en tout qui nous ont porté (du) bonheur. Et Garcia Alarcon fidèle à son cher Cavalli avec cette fois, en version de concert, le “Pompeo Magno” (Pompée le Grand), dernier opéra que Cavalli entendit à Venise (1666), dix ans avant sa mort.

Giulia (Lucia Martin-Carton) et Pompeo (Max-Emanuel Cencic) De dos à l’orgue Leonardo Garcia-Alarcon © François de Maleissye, Cappella Mediterranea



Après Ambronay donc (ma chronique du 23 septembre), Leonardo Garcia Alarcon et quelques-uns des siens prenaient leur quartier à Paris. Avec ce “Pompeo Magno” tout auréolé de son succès (son triomphe dit-on) à Bayreuth cet été. Oui, oui, car il y a un Bayreuth baroque, ne vous retournez pas dans votre tombe, cher Richard W. Quoique si l’on en juge par les photos c’est un spectacle haut en couleur, digne de la comedia dell’arte (masques compris), avec de superbes costumes, qui a ravi le public de là-bas pas si habitué à la furia alarconienne -ou cavallienne, on ne sait lequel a primé. D’où le regret sans doute, à en juger par la version de concert donnée au Théâtre des Champs-Elysées, de ne pas en voir une version mise en scène -on devine la folie furieuse de l’oeuvre aux déplacements des chanteurs, parfois difficiles parmi les instruments qui ont envahi la scène (mimiques qui parfois englobent le chef), on aimerait en savoir plus et en voir plus surtout car il semble que ce “Pompeo Magno” ait été aussi un des derniers feux d’un genre si excessif que le sentiment tragique cher aux spectateurs finissait par s’émousser devant les costumes, les jeux de scène débridés, des personnages secondaires burlesques.

De sorte que “Eliogabalo” (donné il y a quelques années à l’Opéra de Paris) et “Massenzio”, les deux derniers opéras de Cavalli, furent refusés par Venise.

Le triste amoureux Claudio de Nicholas Scott © François de Maleissye, Cappella Mediterranea

Mais on pourrait aussi y trouver cette illustration des fous du roi qui regardaient les drames des puissants comme de pauvres épisodes rendant encore plus odieux ou spectaculaires leurs privilèges. Que sont les amours malheureuses de Pompeo, est-il même amoureux ou s’obstine-t-il à le croire? Il n’empêche: Cavalli, malgré les efforts de Leonardo Garcia Alarcon (qui viendra de nouveau dans ce même Théâtre des Champs-Elysées en mai prochain pour présenter “La Calisto”), n’est pas encore très connu/apprécié en France, peu joué avec mise en scène (le "Eliogabalo” avait reçu un accueil mitigé) car c’est un style d’opéra furieux, débridé, dans un style encore ancien où l’on préfère, nous, Français un peu guindés, la noble tragédie à la Monteverdi.

Qui est-ce “Pompeo Magno”? Le grand Pompée, celui qui fut vaincu ensuite par César, et César on le voit aussi, plein de morgue en drapé de toge rose et blanc, rôle annexe bien incarné ar Victor Sicard (la seule voix grave au milieu d’un océan de contre-ténors), au côté du troisième larron du triumvirat, Crassus, rôle annexe tenu par Jorge Navarro Colorado qui n’est lui “que” ténor. Donc Pompée est au faîte de sa gloire, il vient de triompher du roi du Pont, Mithridate (le Pont, c’était à peu de choses près la Turquie actuelle autour du Pont Euxin, donc la Mer Noire. Mithridate s’est enfui (en fait il est à Rome sous un déguisement), Pompée a ramené captifs la reine Issicratea (en italien) et son fils Farnace et s’apprête à vivre le Triomphe des généraux romains victorieux.

Mariana Flores (Issicratea) et Aloïs Mühlbacher (Farnace) © François de Maleissye, Cappella Mediterranea

Dans la vraie histoire, qui s’est passée dans les années 60 avant Jésus-Christ, Pompée va mettre quelques années à vaincre dans cette partie du monde et ce n’est qu’après la mort de Mithridate, qui se suicide en 63 (voir Racine), que Pompée, généreusement, donnera le trône de l’ancien roi au jeune Farnace -c’est ainsi, en présence du père que s’achève Pompeo Magno.

Quant au triumvirat César-Pompée-Crassus il ne sera créé qu’en l’an 60, bien après notre histoire. Mais on n’est plus à ça près et ce n’est pas la grande histoire qui intéresse Cavalli et son librettiste Nicolo Minato.

Mais les intrigues amoureuses dans une sorte de furieuse cavalcade qui rappelle presque la folle journée du “Mariage de Figaro” où tout le monde court après tout le monde (et c’est bien rendu apr les déplacements qu’orchestre le leader de la troupe, Max-Emanuel Cencic en Pompée) La seul, hiératique, pleine de noblesse accablée, c’est Issicratea, incarnée avec son tempérament de feu, qu’elle contient -quand elle ne le contient pas les notes s’égarent mais la plupart du temps l’incarnation est belle et juste- par Mariana Flores, madame Garcia Alarcon. Il faut dire que tout le monde tombe amoureux d’elle (sauf Pompée qui respecte une reine, en une forme tout de même de vraie admiration!), surtout Sesto, le fils de Pompée, et Claudio, le fils de César. Pompée, lui, a des sentiments pour Farnace qu’il aime peu à peu comme un fils (sentiments homosexuels? Passez votre chemin -même si, un instant, on pourrait le croire) au point, peut-être, de vouloir l’adopter si Papa est mort.

Mais Papa n’est pas mort.

Le triumvirat: César (Victor Sicard) , Pomée (Max-Emanuel Cencic), Crassus (Jorge Navarro Colorado) © François de Maleissye, Cappella Mediterranea

En dernier ressort Pompée, qui entre tout de même dans la valse amoureuse, s’est épris -il devait déjà la connaître- de Giulia, la fille de César. Mais celle-ci a un amoureux, Servilio (Valer Sabadus qui fait correctement ce qu’on lui demande, grand benet dont la voix encore chaude a un peu perdu de son éclat) Dans la vraie histoire (encore!) Pompée finira par épouser Giulia mais ce sera peut-être un mariage politique… (La Giulia de Lucia Martin-Carton est un peu pâle et, malgré une jolie voix, manque de projection)

Comme un gimmick reviennent durant les 3 heures de musique (mais on ne s’ennuie guère tant les intrigues s’entrecroisent) les tentatives de séduction d’Issicratea par Sesto et Claudio, ce dernier petit personnage contrefait très bien incarné par Nicholas Scott, ténor, qui démontre un vrai talent comique. Mais Issicratea, de plus en plus courroucée, résiste, d’autant qu’elle a reconnu son Mithridate, qu’ils se sont enlacés (rien de plus, difficile de commettre un acte de chair confidentiel dans un palais, et c’était encore le cas à l’époque de Cavalli, on d’innombrables serviteurs veillent au repos et/ou aux déplacements nocturnes) et que celui-ci lui a crié sa détresse et son déshonneur -et Valerio Contaldo le fait avec une grande noblesse et la voix claironnante qu’on avait entendue à Ambronay.

Pompée (Max-Emanuel Cencic) © François de Maleissye, Cappella Mediterranea

Tout cela devant des comparses très drôles, la vieille servante Harpalia qui, à coups de gloussements et de ricanements ironiques, joue un terrible double-jeu (le contre-ténor Kacper Szelazek y est excellent) mais plus encore (on se croirait chez Goldoni où différents comparses commentent l’intrigue) lz commère Atrea et son valet Delfo incarnés, lui par le grand Dominique Visse (qui n’a plus non plus la voix d’antan), elle dans un flamboyant numéro dont il est coutumier par Marcel Beekman, aussi impayable (et à la voix de bronze) qu’en Brigand d’Offenbach l’an dernier à l’Opéra-Garnier.

Un drame survient tout de même. C’est peut-être cela qui aura désarçonné à l’époque ou encore aujourd’hui. Et aussi cette histoire échevelée sur fond d’une intrigue historique véridique qui parlait encore plus aux spectateurs de Cavalli en ce qu’ils y reconnaissaient des situations politiques contemporaines. Leonardo Garcia Alarcon s’en fiche un peu (le personnage du mort viendra chanter avec tous le choeur final), qui nous régale de tous ces instruments qui font pouet pouet avec un art remarquable, tout l’instrumentarium baroque avec ses sonorités qui sonnent parfois encore comme au Moyen Äge et qui, brusquement, nous viennent de lointaines provinces perdues d’aujourd’hui, au folklore encore vivace. Il tient son petit monde quasi même sans le regarder -on a rarement vu des chanteurs à ce point sûr d’eux, qui ne ratent aucune de leurs entrées alors que le chef leur tourne le dos-, le seul reproche, mais que l’on doit à Cavalli, étant dans ce peu de variétés des registres -6 contre-ténors, c’est beaucoup mais cela prouve aussi combien les études baroques sont désormais assez au point pour qu’ils naissent au monde musical par couvées.

L’amoureux Sesto (Logan Lopez Gonzalez) © François de Maleissye, Cappella Mediterranea

Ainsi, auprès de Visse, Sabadus et Szelazek (Beekman, lui aussi, n’est que ténor!), il y a évidemment le Pompée de Max-Emanuel Cencic (qui signait aussi la mise en scène à Bayreuth) La voix a la même noblesse, la même précision, l’émotion inchangée qu’on lui connait, dans ce rôle qu’il s’attache à rendre intime, presque discret, Pompée, malgré ses sentiments pour Giulia, assistant plutôt, et parfois en en ignorant les détails, à ce jeu de sentiments et à ces intrigues de pouvoir sans vraiment s’y mêler. Et ce sont donc aussi les deux jeunes que l’on retiendra, tous deux d’une ressemblance physique probablement volontaire, le fils et le “faux” fils de Pompée, Sesto et Farnace. A ce jeu, même si le Farnace de l’Autrichien Aloïs Mühlbacher ne démérite jamais, c’est le très émouvant Sesto qui l’emporte, à la voix d’or, celle de Logan Lopez Gonzalez, d’origine espagnole sans doute mais formé en Belgique dont il a la nationalité.

Le grand Pompée finira mal, vaincu par César, cherchant refuge en Egypte où le pharaon le fera assassiner pour se concilier les bonnes grâces du puissant Jules. Mais celui-ci, pleurant cet ennemi mort qu’il admirait, ira châtier les assassins qui avaient oser lui porter en cadeau la tête du mort. Pompée le Grand finissait réduit.


“Pompeo Magno”, opéra de Francesco Cavalli en version de concert. Soli et orchestre de la Cappella Mediterranea, direction Leonardo Garcia Alarcon. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 1er octobre.













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