Les Capuçon Brüder à l’assaut des Germains (cousins?)

Brüder: frères -tout le monde n’est pas germaniste. Gautier et Renaud Capuçon le sont sans doute devenus, en tout cas musicalement. Comment faire autrement? Wagner et Brahms étaient ainsi au programme de ce concert de dimanche à la Philharmonie de Paris. On y ajoutera, concernant Renaud, Richard Strauss. Seuls francophones dans cette aventure, les Suisses de l’orchestre de chambre de Lausanne, dont le chef permanent depuis 4 ans est un certain… Renaud Capuçon.

Renaud Capuçon © Simon Fowler



Un Renaud Capuçon reconduit à la tête de l’orchestre jusqu’en 2029 (au moins) Ils étaient venus il y a un an tout juste, privilégiant, comme cette année, le répertoire germanique (Beethoven-Bruch-Mendelssohn) Cette année c’était Wagner et Brahms. On notera: germanique. Non pas autrichien. Mais Renaud Capuçon joue tout, et tous les répertoires. Est-ce un choix délibéré autour de Lausanne? Intéressant cependant, ces solistes qui prennent le virage de la direction d’orchestre, les Nguci, Julien-Laferrière, Capuçon (déjà, lui, d’une autre génération et qui peut, ayant joué tant d’oeuvres pour son instrument, avoir envie d’élargir son horizon en tant qu’amoureux de toutes les musiques) Je ne sais où il en est de son espoir de monter un opéra avec “son” orchestre et quel il sera. C’est un rêve qu’il caressait quand je l’avais croisé l’an dernier et qu’on lui souhaite.

Mais je ne l’avais pas encore entendu diriger. Sentiments un peu partagés. Déjà remarquons qu’au moins la qualité sonore, la cohérence des musiciens -une quarantaine- est là. Je ne sais s’il y a là une influence de la fameuse discipline germanique sur cet orchestre de Suisse Romande -de toute façon, à lire les noms des musiciens, un orchestre comme celui-là réunit tant de nationalités et la Suisse en est un carrefour. Reste d’abord ce “Siegfried-Idyll” de Wagner qui n’est pas si simple à conduire…

J’ai bien dit conduire. C’est-à-dire conduire jusqu’à son terme, une vingtaine de minutes, en épousant le geste de la musique avec ses progressions, sa cohérence, or le “Siegfried-Idyll”, cadeau, on le sait, de Richard à Cosima joué sous ses fenêtres -en tout cas dans leur villa- le 25 décembre 1870 pour Noël et son anniversaire, est une musique chambriste, d’une extrême douceur, presque ensommeillée (les références dans le programme au sommeil de Brünnhilde et à son réveil par Siegfried -Wagner travaillait encore à “Siegfried”), mais ce qui signifie qu’il ne fallait surtout pas que Cosima se rendormît…

Pas encore un chef mais la main levée © Jean-François Leclercq / Virgin Classics

La main gauche de Capuçon flotte un peu, la main droite encourage les musiciens, c’est très joli, un peu languissant, comme si le chef ne souhaitait pas trop imprimer sa marque. Il faudra attendre la dernière partie, bien plus ardente, plus triomphale (à l’image de Siegfried?) pour qu’on le trouve plus engagé, entrant presque dans son orchestre (en rêve-t-il, d’être le primus inter pares?) et cela vit, cela vibre.

Ils l’ont joué souvent, les deux frères, ce “Double concerto” de Brahms. Mais la donne a un peu changé. On se souvient qu’alors -il y a déjà pas mal de temps- Gautier était un peu dans l’ombre de Renaud, inséparables souvent avec, d’ailleurs, d’autres complices en musique de chambre, prestigieux, d’Angelich en Argerich. Ce concerto était une de leurs oeuvres fétiches, combien y a-t-il d’oeuvres pour violon et violoncelle? Le Brahms, la “Sonate” de Ravel, le “Duo” de Kodaly… Et de toute façon, comme pour le “Triple concerto” de Beethoven, c’est le violoncelle qui est le mieux servi par Brahms, comme si les deux B. se rattrapaient de n’avoir rien consacré en solo à cet instrument-là.

Les deux C. , eux, se passent le relais. C’est d’abord le violoncelle de Gautier qu’on entend. Il n’est jamais meilleur qu’en live, avec ce son boisé, fruité, profond et cette assurance, désormais, peut-être gagnée aussi (plus rien du jeune dilettante pourri de talent) lors des master classes qu’il donnait à la Fondation Louis Vuitton. Mais voilà: la réplique du frère, on est triste de le dire, n’est pas à la hauteur. Le son est un peu pâle, la sonorité rêche. Mais très bien, après l’entrée des deux solistes, la reprise orchestrale que Renaud dirige avec fougue et autorité. Car c’est là, sans doute, le problème: malgré la réactivité des musiciens et la connaissance de l’oeuvre on ne peut avoir un oeil par-devant sur son partenaire et un oeil sur 40 musiciens derrière soi, même si l’on a un talent et une musicalité incontestables. On sent l’esprit de Capuçon partagé face à un jeune frère parfait de musicalité, de lyrisme (un de ses grandes qualités), d’esprit brahmsien.

Gautier Capuçon © Grégory Batardon

Il y aura quand même un très beau mouvement lent, dont le rythme même permet de se poser, et la complicité des deux Capuçon devient à ce moment-là très belle, de sons et de… même sang, tout simplement. Et ce sera dans la dernière oeuvre, la “2e Sérénade” du même Brahms qu’on trouvera un Renaud chef apaisé, aux aguets, réactif, toujours un peu éthéré dans les deux mouvements lents qui se ressemblent et d’ailleurs s’enchaînent mais élégant et dansant, en particulier dans le final qui sera bissé.

Une “2e Sérénade” plus intimiste que la première, les deux, a-t-on dit, étant les tentatives orchestrales d’un Brahms qui n’osait pas encore affronter le genre symphonique, paralysé qu’il était par l’exemple de Beethoven (et le “Concerto n° 1 pour piano” de la même époque, participe, avec son orchestre si présent, de ces tentatives) On est donc dans la musique presque chambriste encore (cohérence avec “Siegfried-Idyll”) où le pupitre des vents (cors compris) s’opposent à celui des cordes mais des cordes sans les violons. Cela donne quelque chose de forestier à l’oeuvre (et les musiciens ainsi que leur chef le rendent plutôt bien), style “forêt viennoise” que Brahms, pourtant, ne connaissait pas encore.

Et du même coup je n’ai pas encore parlé de l’album très intéressant que Renaud Capuçon a fait paraître il y a déjà quelques mois. Très intéressant au moins par le contenu et qu’il lui plaisait de défendre. Démontrant son amour pour Richard Strauss, où on ne l’attend pas forcément. Richard Strauss, le compositeur d’opéra, allez-vous dire? Oui, mais pas que, loin de là. Je savais cet intérêt. Parce que j’avais entendu il y a pas mal d’années un tout jeune Capuçon diriger de son violon (seul homme parmi 22 femmes) les “Métamorphoses” pour 23 cordes. Et parce que je sais aussi qu’il met volontiers à son programme la “Sonate” du même Strauss, ce Strauss qui ne se consacra vraiment à l’opéra (et avec quelle réussite!) qu’à la quarantaine -le premier chef-d’oeuvre, “Salomé”, datant de 1905 après un corpus plutôt symphonique et… chambriste (ce qu’on ne sait pas assez)

Sage comme une image © Paolo Roversi / Erato

Capuçon le dit lui-même, son amour de Strauss remonte à ses années d’études à Berlin et à son poste de 1er violon de l’orchestre des jeunes Gustav Mahler sous les baguettes -mazette!- de Claudio Abbado ou Seiji Ozawa. Ce sont donc 6 oeuvres que Renaud met à ce programme, dont 3 des premières années. Et d’abord ce “Concerto pour violon” d’un jeune homme de 17 ans déjà d’une folle maîtrise et, dit Capuçon, d’une difficulté comparable (ce qui explique qu’il soit peu joué) à celui de Schumann, autre mal aimé. A part la difficulté je ne le rapprocherais pas du Schumann. Mais au jeu du “De qui est-ce?” bien malin qui pourrait répondre. Il y a là-dedans parfois du Mendelssohn, plus sûrement du Bruch. Et un violon rayonnant, conquérant… straussien: là on retrouve le son, l’engagement, la plénitude du violoniste, très bien accompagné par le jeune Petr Popelka à la tête du Symphonique de Vienne.

La “Sonate” est moins réussi. La faute à une prise de son qui ne favorise pas l’équilibre avec le piano de Guillaume Bellom bien trop dur, plus “esprit frappeur” que complice. Sauf encore une fois dans le mouvement lent, plus équilibré. Le “Quatuor avec piano”, d’un Strauss de 20 ans où l’on retrouve Bellom, plus mesuré, avec Paul Zientara à l’alto et Julie Hagen au violoncelle, bénéficie d’une belle complicité où l’on retrouve le talent de Capuçon à fédérer les musiciens -une de ses qualités, une de ses joies de chambriste. A ceci près que ce quatuor est trop long, 40 minutes, comme si Strauss voulait imiter ceux de Brahms, atteint, lui, du même défaut surtout dans le 2e et le 3e… Il n’empêche: le mouvement lent est beau, le final est d’une énergie qui fait plaisir.

© Simon Fowler

Les deux autres oeuvres (on passera sur la petite “Etude Daphné” d’après l’opéra du même nom de 1938, 1 minute 33 de beau violon… aussitôt oublié) appartiennent aux années noires, dans cette ambiguïté de l’attitude de Strauss par rapport au nazisme, ce qui n’empêche pas le génie. “Capriccio”, opéra de 1942, livret de Clemens Krauss qui eut du mal à s’expliquer ensuite sur son ascension durant la période 33-45, semble un peu hors sol dans la datation de son intrigue -1775!- mais quel merveilleuse musique, qui s’ouvre justement par ce “Sextet” pour cordes joué vraiment en direct quand l’opéra est représenté. Du beau linge entoure Renaud Capuçon: l’autre violoniste est Christoph Koncz, ex du Philharmonique de Vienne et qui dirige depuis (décidément!) l’orchestre national de Mulhouse. Puis le fidèle Gérard Caussé et les trois Hagen, Veronika à l’autre alto, Clemens et Julia aux violoncelles. Ce sont eux aussi qui donneront ces “Métamorphoses”, musique funèbre écrite en 1945 (on pense parfois à l’ “Adagio” de Barber) comme un “tombeau” aux destructions de la guerre -mais aux destructions subies par qui? C’est la version à 7 (avec le contrebassiste Alois Posch) qu’on entend, qui est la version originale de Strauss. Prise un peu lentement, elle ne trouve sa puissance que peu à peu et l’on préfèrera la version à 23 cordes pour son ampleur sonore. Mais, dans la deuxième partie, le passage de relais entre les musiciens, tout en élégance et en énergie, réserve de superbes moments.

Gros coffret: 3 Cd, le troisième n’étant pas forcément pour nous nécessaire. C’est une version en demi-teinte et qui a déjà 25 ans d’ “Une vie de héros”. L’intérêt, plus relatif, étant ainsi de proposer un “Tout-Capuçon” puisque celui-ci, d’un peu plus de 20 ans, était donc ici le violon solo de l’orchestre de jeunes Gustav-Mahler. Un violon de talent déjà mais assez discret. C’est Seiji Ozawa qui dirige et qui a un peu de mal à faire de cette oeuvre quelque chose de construit. Il y a des moments de relâche, d’autres plus spectaculaires, le meilleur étant “Le champ de bataille du héros” très joliment parodique. Cette oeuvre de Strauss, très straussienne cependant et fort bien écrite, est d’ailleurs déjà en soi une sorte de parodie.

Et l’on doit songer aussi que la Deutsche Grammophon qui édite ce coffret pense d’abord à son public allemand. Pour qui Strauss (Richard) est un des très grands. La preuve: voici que même un petit Français se l’annexe…





Orchestre de chambre de Lausanne, direction Renaud Capuçon: Wagner (Siegfried-Idyll) Brahms (Double concerto pour violon, violoncelle et orchestre avec Renaud Capuçon, violon et Gautier Capuçon, violoncelle; Sérénade n° 2) Philharmonie de Paris le 28 septembre.

Richard Strauss: Concerto pour violon. Sonate pour violon et piano. Quatuor avec piano. Etude “Daphne” pour violon seul. Sextet de “Capriccio” pour cordes. Metamorphoses, version pour 7 cordes. “Une vie de héros” pour grand orchestre. Renaud Capuçon, violon, solistes et chefs divers. Un coffret de 3 Cd DG.

















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